Agroscope, Institute of Experimental Botany ASCR, IPK-Genbank

La fétuque des Apennins – un avenir pour le «ray-grass des alpages»?

La fétuque des Apennins, très répandue dans les alpages suisses, pourrait servir de plante fourragère en altitude. Elle forme de plus des touffes vigoureuses en s’hybridant avec la fétuque des prés et le ray-grass. Se prête-t-elle pour autant à une optimisation de la sélection?

Quelles sont les plantes fourragères adaptées à des altitudes élevées, où règnent des conditions météorologiques extrêmes et des périodes de végétation courtes? La fétuque des Apennins (voir encadré) a été décrite dès le début du XXe siècle comme une plante fourragère au grand potentiel pour les alpages par Friedrich Stebler, premier directeur de ce qui deviendra plus tard les instituts de recherche agronomique actuels. Mais jusqu’ici on en savait peu sur le potentiel agronomique de cette plante.

Nous avons étudié la répartition de la fétuque des Apennins et ses préférences en matière d’altitude, d’état de fertilité du sol et de régime hydrique. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux hybrides naturels qu’elle forme avec la fétuque des prés ainsi qu’avec le ray-grass. Des essais culturaux comparant ceux-ci à différentes altitudes devraient fournir des indications sur un possible travail de sélection.

L’altitude est déterminante pour la propagation

La fétuque des Apennins est largement répandue dans les alpages au-dessus de 1500 m. Elle pousse le plus souvent dans des milieux riches en éléments nutritifs et bénéficiant d’un bon apport en eau. À moyenne altitude, en particulier entre 1350 et 1450 m, elle est fortement concurrencée par des hybrides naturels, produits du croisement entre fétuque des Apennins et fétuque des prés (voir graphique).

Les mêmes croisements ont pu être obtenus sans peine par pollinisation croisée contrôlée. Dans les essais culturaux, la croissance des hybrides a souvent été plusieurs fois supérieure à celle des deux espèces parentes (effet d’hétérosis). Sur certains alpages, les hybrides se sont développés de manière quasi invasive, notamment grâce à une propagation clonale massive par les rhizomes. De tels peuplements rappellent les prairies de ray-grass italien du Plateau.

La fétuque des Apennins est largement répandue au-dessus de 1500 m. À moyenne altitude, elle est fortement concurrencée par des hybrides issus du croisement avec la fétuque des prés. À basse altitude, c’est la fétuque des prés qui est la plus fréquente.

Croisement naturel avec le ray-grass

Des hybrides de fétuque des Apennins et de ray-grass ont été découverts et étudiés pour la première fois. Ces hybrides intergénériques sont appelés festulolium et sont considérés comme intéressants pour la sélection car ils pourraient combiner les avantages des deux genres. Les hybrides découverts sont relativement rares, mais ils peuvent eux aussi s’étendre sur plusieurs centaines de mètres grâce à leurs rhizomes. Ils sont l’un des rares exemples connus d’hybrides de festulolium apparus sans l’intervention de l’homme et qui parviennent à se maintenir dans la nature.

La stérilité, un obstacle à la reproduction

Les deux formes hybrides sont presque totalement stériles, ce qui signifie qu’elles ne produisent pas de graines (voir encadré). Les anthères qui ne s’ouvrent pas sont le critère le plus sûr pour les reconnaître. Si l’on voulait exploiter leur potentiel agronomique, il faudrait trouver des moyens de les multiplier. La duplication des jeux de chromosomes pourrait ainsi rétablir la fertilité. Une multiplication végétative pourrait également être intéressante pour une utilisation sur de petites surfaces, par exemple pour l’assainissement de reposoirs envahis par les mauvaises herbes.

La fétuque des Apennins fait jeu égal avec celle des prés

Vingt accessions de fétuque des Apennins, provenant de neuf cantons des régions de montagne, ont été collectées, multipliées en isolement et les semences ont été stockées dans la banque de gènes. Sur le Plateau, les plantes n’ont pas pu rivaliser avec la fétuque des prés, mais au fur et à mesure que l’essai s’est prolongé, les meilleures accessions ont fini par égaler les variétés recommandées de fétuque des prés dans l’essai de culture à 1000 m. La forte dormance et la forte propension à perdre les graines sont des caractéristiques qui devraient être améliorées dans le cadre d’un éventuel travail de sélection. Les résultats de nos essais permettront de choisir le matériel source adéquat à cet effet.

La fétuque des Apennins et ses proches parents
La fétuque des Apennins (Festuca apennina ou Festuca pratensis var. megalostachys) est une proche parente de la fétuque des prés et de la fétuque élevée. La fétuque des Apennins possède quatre jeux de chromosomes, ce qui signifie qu’elle est tétraploïde (4x). Elle a donc deux fois plus de jeux de chromosomes que la fétuque des prés, diploïde (2x). Deux des jeux de chromosomes de la fétuque des Apennins proviennent de la fétuque des prés, les deux autres d’une espèce inconnue de Festuca. Les formes hybrides, tant celles issues du croisement avec la fétuque des prés qu’avec le ray-grass, sont triploïdes et donc stériles.

Conclusion

  • La fétuque des Apennins est bien adaptée aux hautes altitudes où elle parvient à égaler la fétuque des prés et où elle est largement répandue dans les alpages.
  • Un travail de sélection de l’espèce s’avère prometteur et peut dans un premier temps se focaliser sur une réduction de la dormance.
  • Les hybrides issus du croisement avec la fétuque des prés sont souvent très compétitifs, car nettement plus vigoureux que leurs parents (effet d’hétérosis). Ils sont stériles, mais peuvent se propager massivement par les rhizomes. Dans les pâturages de moyenne altitude, ils peuvent devenir envahissants et leur propagation aller au-delà de ce qui est souhaitable.
  • Les hybrides issus du croisement avec le ray-grass récemment découverts sont relativement rares, mais susceptibles de se propager massivement par multiplication végétative.
  • Afin d’exploiter l’énorme potentiel de ces deux hybrides, la multiplication végétative ou le rétablissement de leur fertilité par duplication chromosomique pourraient être envisagés.
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