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Bioprospection de Metschnikowia pulcherrima pour la vinification du chasselas

Avec sa contribution aromatique positive, Metschnikowia pulcherrima se révèle être une levure intéressante en vinification. L’essai réalisé suggère que la bioprospection est une stratégie efficace pour valoriser la diversité microbienne locale.

En 2021, une campagne d’isolement et d’identification génétique de micro-organismes a été menée dans quatre cantons suisses par prélèvements effectués au vignoble et sur les équipements de la cave. Sept genres de levures ont été isolés, dont Metschnikowia pulcherrima (Mp), représentant 24 % de la population totale (Figure 1). Après l’isolement et la constitution d’une biobanque, ces souches ont été testées en fermentation afin d’évaluer leurs paramètres biochimiques et leur capacité à produire des composés volatils. L’objectif était de sélectionner une levure à faible pouvoir fermentaire, capable de produire beaucoup d’alcools supérieurs, tout en générant peu de composés indésirables (acide acétique ou acétaldéhyde). Les résultats ont montré une grande variabilité entre les isolats. Finalement, la souche Mp isolée dans le canton de Vaud (UASWS2926 VBI-A02) a été retenue pour être testée en vinification sur du moût de chasselas en laboratoire (2021) puis en cave expérimentale (2022) en raison de son excellente production de 2-phényléthanol et de ses faibles niveaux de composés indésirables. L’objectif était d’étudier si cette levure pouvait contribuer à la création de nouveaux arômes pour enrichir le profil aromatique du vin de chasselas.

Figure 1: Les sept principaux genres de levures isolées par bioprospection dans les quatre cantons de la Suisse romande.

Grande variabilité microbienne en cave

En laboratoire, deux conditions ont été comparées: une fermentation classique (CC) avec une Saccharomyces cerevisiae (Sc) commerciale et une fermentation séquentielle (FS) dans laquelle Mp a été inoculée cinq jours avant Sc. Le suivi microbiologique de la fermentation alcoolique (FA) a été effectué par cytométrie en flux (FCM) afin de mesurer la concentration et l’activité des cellules à l’aide de marqueurs fluorescents. Des échantillons ont également été prélevés pour déterminer les paramètres biochimiques par chromatographie liquide à haute performance (HPLC). Un essai a été ensuite mené en cave, dans lequel trois conditions ont été testées: CC, FS et pied de cuve (PDC) réalisé à l’aide d’un starter préparé à partir de raisins une semaine avant la récolte. Les résultats en cave (Figure 2) montrent que Mp présente une faible activité fermentaire avant l’inoculation de Sc. De plus, les résultats obtenus par FCM indiquent que Mp reste active, mais en faible quantité, jusqu’à l’ajout de Sc, ce qui confirme les observations faites en laboratoire.

Figure 2: A. Analyse densitométrique des fermentations en cave. Classique Cuve: Sc; Pied-de-Cuve: PDC; MP + Sc seq: Mp/Scen FS. B. Cinétique de croissance cellulaire de Sc et Mpà l’échelle de cave obtenue par analyse FCM. Classique Cuve: Sc; Pied-de-Cuve: PDC; MP: Mp; Sc seq: Sc en FS. C. Fluorescence CFDA dans différentes conditions à l’échelle de la cave obtenue par analyse FCM. Classique Cuve: Sc; Pied-de-Cuve: PDC; MP: Mp; Sc seq: Sc en FS.

À différentes étapes de la FA (moût en cuve, 1/3 FA, 2/3 FA, fin FA), des échantillons ont été prélevés pour permettre l’extraction, l’amplification et le séquençage de l’ADN, afin d’identifier les communautés microbiennes présentes dans le moût de chasselas. Les résultats ont révélé une grande variabilité entre les trois conditions testées (Figure 3). Il a été observé qu’après l’inoculation de Mp dans le moût, l’abondance relative des levures indigènes telles que Hanseniaspora uvarum et des champignons tels qu’Aureobasidium pullulans a diminué par rapport au PDC. Dans ce dernier, en revanche, H. uvarum et d’autres levures ont persisté en présence de Sc tout au long de la FA. Les vins ont subi une fermentation malolactique, une stabilisation chimique et une filtration avant d’être mis en bouteille en attendant d’être dégustés.

Figure 3: Abondance relative des levures en fermentation à différents moments de la fermentation en cave.  CC (avant inoc.): classique cuve avant l’inoculation du Sc; CC (ap. inoc.): classique cuve après l’inoculation du Sc; CC 1/3, 2/3, fin FA: classique cuve à 1/3, 2/3 et à la fin de la FA. PDC: PDC; PDC (av. inoc.): condition avant l’inoculation du PDC. PDC (ap. inoc.): condition après l’inoculation par le PDC. PDC 1/3, 2/3, fin FA: cuve inoculée par le PDC à 1/3, 2/3 et à la fin de la FA. FS: Mpseul; FS (av. inoc.: état avant l’inoculation de Mp. FS (ap. inoc.): état après l’inoculation de Mp. FS 1/3, 2/3, fin de la FA: Modalité avec FS à 1/3, 2/3 et à la fin de la FA.

Mp apporte une note aromatique

L’analyse biochimique des vins n’a révélé aucune différence majeure entre les différentes conditions. Cependant, l’analyse sensorielle a révélé que le vin FS présentait un caractère légèrement plus floral que le vin PDC, même si cette différence n’était pas statistiquement significative. En revanche, le vin FS présentait un caractère lactique significativement plus marqué, et les vins issus des conditions CC et FS ont été préférés à la condition PDC.

Conclusions

  • La souche indigène de Metschnikowia pulcherrima isolée dans le canton de Vaud et utilisée en fermentation séquentielle avec Saccharomyces cerevisiae (Sc) ne fermente pas les sucres et n’interfère pas avec la fermentation de Sc.
  • La cytométrie en flux nous a permis de suivre avec précision l’activité métabolique cellulaire des espèces présentes au cours de la fermentation alcoolique. De plus, les résultats du séquençage par biologie moléculaire en cave, effectué à différents moments de la fermentation, ont révélé une grande variabilité microbienne parmi les conditions testées.
  • Notre stratégie de bioprospection à l’aide de Metschnikowia pulcherrima en fermentation séquentielle a permis d’obtenir des vins de chasselas présentant des arômes floraux et lactiques plus marqués.
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