Agroscope, INRAE, HEPIA, Université de Strasbourg, Université de Montpellier, Université de Neuchâtel

Le cornalin du Valais est « à nouveau » orphelin

Une étude menée par Agroscope a permis d’approfondir les mécanismes génétiques responsables de la coloration de la pellicule du raisin. Ces nouvelles connaissances ont conduit à réviser la généalogie du cépage rouge du pays (cornalin du Valais) et contribuent à mieux comprendre la diversité génétique de la vigne.

La coloration rouge des tissus végétaux est principalement due à une classe de pigments appelés anthocyanes. Chez la vigne, la présence ou absence de ces pigments dans les pellicules détermine la couleur des raisins. Cette couleur constitue un critère essentiel de l’ampélographie (étude des cépages) permettant de classer des milliers de cépages différents en deux catégories principales: cépages à raisins blancs et cépages à raisins rouges (noirs).

La couleur des baies est déterminée génétiquement par un locus principal, c’est-à-dire un emplacement précis du génome de la vigne. Le gène central impliqué dans ce mécanisme est dénommé MybA1; son inactivation provoque l’absence de pigmentation chez les cépages blancs. En génétique, chaque gène occupe une position précise sur un chromosome et peut exister en plusieurs versions différentes appelées allèles. Chaque cépage possède deux variantes (allèles) de chaque gène, l’une hérité de sa mère et l’autre de son père.

Pour le gène MybA1, un allèle est considéré comme fonctionnel s’il permet la synthèse d’anthocyanes, et comme non fonctionnel s’il ne déclenche pas cette production. La pigmentation noire de la pellicule constitue un caractère dominant, alors que la couleur blanche est un caractère récessif.

L’allèle SUB est présent dans des cépages rouges du Valais et du Val d’Aoste …

Un allèle particulier du gène MybA1, nommé SUB, a fait l’objet de cette étude car il présente certaines caractéristiques inhabituelles. Il est en effet observé dans des cépages rouges et blancs, ce qui soulève des questions sur sa capacité à activer la synthèse d’anthocyanes. Par ailleurs, le rôle de cet allèle reste mal compris. En effet, les modèles génétiques classiques ne permettent pas de prédire la couleur des baies lorsque cet allèle est présent.

Dans le cadre de cette étude, l’allèle SUB a été identifié dans plusieurs cépages rouges originaires du Valais et du Val d’Aoste (Figure 1). Ceux-ci forment un groupe de variétés étroitement apparentées. Des similitudes entre certains cépages valaisans et valdôtains avaient déjà été observées au début du XXᵉ siècle par les premiers ampélographes. En 2003, des analyses génétiques avaient suggéré que le rouge du pays (cornalin du Valais) était issu d’un croisement naturel entre le petit rouge et le mayolet, deux cépages du Val d’Aoste. Toutefois, nos résultats invalident définitivement cette hypothèse. En effet, le rouge du pays porte deux allèles rouges pour le gène MybA1 (SUB et ALF), ce qui exclut la possibilité qu’il soit issu de deux parents ne portant que SUB et ITA, comme c’est le cas pour le petit rouge et le mayolet.

Figure 1: Le cépage rouge du pays est génétiquement lié, par une relation de type parent/enfant, à six cépages cultivés dans le Val d’Aoste ou le Valais. Toutefois, aucune combinaison parmi ces six cépages ne permet de retracer son origine, ce qui indique qu’au moins un de ses parents demeure inconnu à ce jour. Les flèches noires représentent des liens génétiques directs (parent/enfant). Les deux variantes du gène MybA1 sont précisées pour chaque cépage: SUB et ALF (fonctionnelles, associés à des baies noires) et ITA (non fonctionnelle, associé à des baies blanches).

… et dans certains cépages blancs

Les cépages cultivés aujourd’hui sont le fruit d’un processus de domestication à partir de Vitis sylvestris, l’ancêtre sauvage de la vigne cultivée, dont les baies ont une pellicule noire. Bien que les cépages blancs soient connus depuis l’Antiquité, on pensait jusqu’ici qu’une seule mutation avait conduit à leur apparition. Toutefois, nos résultats indiquent la présence d’un second mécanisme impliquant l’allèle SUB, retrouvé dans plusieurs cépages blancs comme la sultanina, le khusaine belyi ou l’otcha bala (Figure 2). Le mécanisme mis en évidence dans notre étude vient compléter désormais le modèle du contrôle génétique de la pigmentation des baies de la vigne.

Figure 2: Grappe du cépage sultanina (Thompson Seedless), le cépage blanc le plus cultivé au monde (­276 000 ha ; OIV, 2017), principalement destiné à la consommation sous forme de raisin de table ou de raisin sec.

Conclusions

  • Le rouge du pays (ou cornalin du Valais) n’est pas le résultat d’un croisement naturel entre le petit rouge et le mayolet comme on le pensait jusqu’à présent.
  • L’ampélographie montre qu’aucune combinaison de cépages connus ne permet d’expliquer à ce jour l’origine du rouge du pays.
  • Au moins l’un de ses parents reste inconnu, probablement un cépage ancien aujourd’hui disparu.
Archives complètes